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Photo de Bernard Enthoven

Pendant les années 20 et 30, il y avait à Mascara un
vétérinaire dont je tairai le nom, qui n’avait pas peur de
se déranger jour et nuit pour aller soigner les animaux
dans les fermes de la région de Mascara. Il habitait le
faubourg Isidore et avait une grosse voiture de marque
Ford. (Fordaille, comme on disait alors)
Comme il commençait à devenir vieux et qu’il était
souvent dans la lune, il avait formé un nouveau
vétérinaire et lui avait transmis sa vocation d’aimer et
d’aider les animaux.
Ce nouveau vétérinaire avait une automobile C4, et un
jour qu’il était allé visiter des animaux dans une ferme
tout près d’El-Bordj, il tomba en panne à son retour, et
appela à son secours son confrère. Celui-ci vint et le prit
en remorque à l’aide d’une corde prêtée par le fermier.
Et les voilà repartis, l’un remorquant l’autre. Le
remorqueur dans la lune réfléchissait à je ne sais quoi,
au point d’oublier qu’il avait un véhicule en remorque
et il accélérait l’allure. Désespérément, le remorqué
faisait usage de son klaxon pour lui demander de
ralentir. Le remorqueur voyait dans son rétroviseur ce
véhicule de moindre puissance le serrer de près.
« Comment ? Cette petite voiture veut me dépasser ! Il
va voir de quel bois je me chauffe ! » Et il accélérait de
plus en plus, et l’autre qui était accroché avait de plus
en plus de peine à maîtriser son véhicule et actionnait
son klaxon.
Sur la route toute droite de Maoussa, le premier voulait
se débarrasser de son suiveur, et enfonçait à fond son
champignon. Au grand virage du Bassin Carré, la corde
casse. Le remorqué va tout droit dans le fossé.
Arrivé à son domicile, le vétérinaire était tout content
de s’être débarrassé de son suiveur. Mais c’est en
racontant sa mésaventure à son épouse qu’il s’est
souvenu, à la vue du morceau de corde attaché à son
pare-chocs.
« Merde ! C’est le vétérinaire que je remorquais ! »
Il est retourné porter secours à son élève qui l’attendait
patiemment dans le fossé de l’embranchement de la
route de Saint-André, en lui affirmant qu’il regrettait infiniment
de l’avoir mis dans une pareille situation.