LA  MOUNA

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   LA MOUNA

C'est le nom d'un gâteau, d'origine espagnole, qui s'apparente à la brioche en un peu plus rustique. Il a la particularité d'être confectionné pour les fêtes de Pâques , il représente une demi sphère et pour les enfants il est agrémenté d'un œuf entier sur le sommet.

Il est donc devenu synonyme de fête. On dit : "  On va faire la mouna" pour annoncer que l'on va fêter Pâques.

Pâques revêt un caractère particulier puisqu'il célèbre l'arrivée du printemps, des beaux jours, et du renouveau de la nature.

Après une semaine sainte, au cours de laquelle nous avons du nous pencher sur les souffrances du Christ, son chemin de croix etc.. nous voila le dimanche de Pâques, jours solennel, avec la mess et la communion et la joie de retrouver les cloches qui reviennent de Rome.

Cela n'a tout de même pas empêché de penser à la sortie que nous pourrions faire à la campagne comme le veut la tradition.

Il faut distinguer deux périodes : avant et pendant la guerre et après la guerre.

Au cours de la première période, nos moyens de locomotion étaient très limités aussi nous nous dirigions souvent vers le petit bois de St Hyppolite à coté  du village du même nom et distant de trois

kilomètres de chez nous. La carriole était souvent utilisée, le vélo et même la marche à pied. Nous formions un groupe familiale et d'amis de longue date. Nous nous installions sous les chênes verts qui n'offraient qu'un abri précaire. Aussi quand le temps s'avérait incertain, il fallait trouver un moyen de repli  pour échapper à la pluie. C'était souvent l'orage qui pouvait nous surprendre. Je me souviens qu'une année nous avions prépare le riz et au moment de se mettre à table la pluie s'est mise à tomber. Les parents prévenant avaient demandé à un taxi de venir nous chercher en cas de mauvais temps. En effet est apparu une grosse voiture comme on en faisait à l'époque. Tout le monde a embarqué sans oublier la marmite de riz qui finissait de cuire. Le taxi n'était pas de la première jeunesse et c'est avec beaucoup de bonne volonté qu’ 'il a tenté de nous ramener à la maison. Il avait presque réussi lorsqu'à quelques dizaines de mètres de l'arrivée il a perdu une roue arrière. Etant donné sa vitesse les conséquences n'ont pas été graves. Un effondrement de l'arrière et un arrêt un peu brusque mais la cocotte de riz n'avait subie aucun dommage et nous avons pu déguster notre repas dans la bonne humeur mais bien à l'abri à la maison.

Dés que la guerre fut finie, nous avons eu la joie de voir revenir tous les jeunes hommes ou du moins presque tous car les Pieds Noirs avaient payé un lourd tribu lords des combats pour la libération de la France. Certains revenaient mutilés, un bras ou une jambe en moins.

Mais l'impression de liberté et de paix primait et tout le monde semblait heureux de vivre..

Mon cousin Henri, ayant troqué son uniforme d’officier d’aviation contre sa tenue d’enseignant , a commencé par se marier avec une fille dont nous entretenions des liens d’amitié avec sa famille depuis toujours .

Il a donc été nommé à Froha, commune située à une dizaine de kms  au sud de Mascara.  Il était le seul enseignant dans ce petit village et il assurait en même temps les fonctions de secrétaire de mairie. Cela lui a valu d'entretenir de très bonnes relations avec tout les habitants.

Pour nous il offrait, avec les locaux de son école, un lieu idéal pour la Mouna.

L'année suivante il nous invitait à venir faire la mouna chez lui.

Tout a été organise par son père. Tout d'abord un car pour nous transporter tous ensemble, les voitures n'étant encore disponibles sur le marché.

Le lundi matin, de bonne heure, nous nous regroupions chez mon oncle Henri pour prendre le car que nous avions loué. Attendez… ce n'était un pullman climatisé.  Nous avions droit à un châssis Citroën avec un moteur "flottant" 6 cylindres (symbolisé par un cygne sur le radiateur) qui supportait une cabine de fabrication artisanale et pouvant contenir une douzaine de places et même un peu plus en nous serrant. De toute façon tout le monde montait et s’installait tant bien que mal avec beaucoup de bonne volonté étant donné la brièveté du voyage.

L’ambiance était joyeuse, les voyageurs parlaient tous en même temps, racontant leurs propres aventures. La famille des parents de l’épouse de Riri, arrivait en nombre : le père Jules et la mère, le fils et la deuxième fille, la tante Margot, petite bonne femme toujours souriante, sa sœur Phiphine, vielle fille sèche et coincée au niveau des zygomatiques, un neveux, bref du monde qui ajouté à notre propre famille formait un groupe relativement important.

Le car avait une dizaine de kilomètres à parcourir . Après la descente sur Saint André de Mascara (deux kilomètres environ) nous abordions une ligne droite jusqu’au village. A mi chemin un petit pont enjambait un oued et formait un dos d’âne. Il n’était pas question, pour le chauffeur du car de ralentir à l’approche de ce dénivelé, il n’allait pas perdre l’élan que la ligne droite lui avait octroyé, ce qui provoquait une envolée au passage du monticule et déclenchait une série de cris stridents car sans amortisseurs, le véhicule retrouvait la route quelque peu brutalement.

Et c’était l’arrivée au village. Le bâtiment regroupant la mairie et l’école se situait dans un parc entouré de grands arbres. Après l’accueil de mon cousin et de son épouse, nous prenions possession des lieux ; la cour était vaste et le préau suffisait à nous abriter tous.

Les choses sérieuses commençaient, comme allumer un bon feu et préparer l’énorme cocotte en fonte dans laquelle allait cuire le riz. Ce n’était pas une paella mais un « riz à l’espagnol » que mon oncle Henri, bien que n’ayant aucune origine ibérique, préparait. Je n’irais pas jusqu’à vous donner la recette, incapable moi-même d’une telle performance, mais je peux essayer de vous énumérer les ingrédients que  l’on pouvait identifier dans ce plat traditionnel . Il fallait préparer un bouillon avec de l’ail, de l’oignon, de la tomate, des poivrons coupés en lamelle, des petits pois, des cœurs d’artichauts, et puis les viandes : poulet, lapin, porc frais (tocino) dont le gras apportait à l’ensemble l’onctuosité nécessaire. Lorsque ce bouillon était prêt, on prévenait tout le monde que l’on mettait le riz à cuire ce qui voulait faire comprendre que dans vingt minutes le plat serait en état d’être dégusté.

L’apéritif c’était, bien entendu, l’anisette avec la kémia : souvent l’occasion de gouter le jambon cru que l’on venait de sortir du saloir.

Oui, il ne fallait jamais faire attendre le « Riz » quant il était cuit, c’était plutôt aux convives de rester à la disposition du cuisinier qui retirerait la cocotte du feu .

Alors, le plat apparaissait dans toute sa splendeur : sa couleur jaune à cause du safran , sa surface parsemée de rondelles de chorizo « prononcez : tchorrriiiso s’il vous plait » et de lamelles de poivrons, avec un brillant du au ‘tocino’. Cette apparition déclenchait de nombreux applaudissements pour le cuisinier.

Tout le monde à table patientait encore cinq minutes pour qu’il ‘repose’ et le service commençait par les anciens qui étaient les premiers à donner leur avis sur l’état de la cuisson des grains de riz. Est-ce qu’ils se détachaient bien, n’étaient-ils pas trop durs ou bien trop cuits, ? la pire remarque, mais cela n’est jamais arrivé, c’était de qualifier le riz de « gatias » c’est à dire pâteux.

Tout le monde mangeait de bon appétit. Un bon vin de Mascara, le vrai, celui qui venait directement de la cave du viticulteur de la région, sans passer par un négociant qui aurait pu effectuer quelques traitements comme la chaptalisation, par exemple, aidait à l’assimilation .

Et puis deux convives : mon oncle Henri, grand, mince, sans aucun embonpoint , défiait Jules , lui bedonnant, doté d’une forte corpulence, à qui mangerait le plus de riz ?

Le match, suivi de près par tous les convives, se poursuivait alors que tout le monde avait mis fin à son repas.

Et bien, qui croyez-vous, qui remportait ce concours, c’était mon oncle malgré son absence de volume corporel.  

Au dessert, on retrouvait la mouna parmi de nombreuses autres pâtisseries ;

L’après-midi  se passait à digérer en se promenant dans la campagne en bavardant de tout et de rien..

Et puis le soir arrivait. Il fallait penser à rentrer à la maison car le lendemain tout le monde travaillait, sauf bien entendu les enfants qui bénéficiaient encore d’une semaine de vacances. Il n’était pas question de rentrer sans souper. Etant donné la fraicheur du soir, la table avait été dressée dans la salle de classe. Le repas se devait plus léger : un bouillon avec des mesmels et de la viande de mouton, « un bouse louf » quoi.

Le car revenait nous chercher et nous regagnions Mascara avec moins d’entrain qu’à l’aller. Le passage sur le dos d’âne du pont n’arrachait que quelques ‘ouille ‘.

Tout le monde se retrouvait fourbu mais heureux, pensant déjà à l’année prochaine.

La MOUNA était terminée.

Paul AUGUET

Rue, Lamartine, Faubourd Martin

MASCARA