SOUVENIRS D' E.P.S   

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par Monsieur Lucien Partouche

 

   Depuis 1931, à la rentrée scolaire, j’étais demi-pensionnaire à l’E.P.S. (École Primaire Supérieure NDLR). J’ai débuté dans la classe de Madame Klaché, à l’E.P.S. de Mascara. Après le repas de midi pris en réfectoire, nous avions récréation dans la cour intérieure, jusqu’à la reprise des cours. Mais c’était trop monotone. Aussi, en 1933 ou 1934, certains d’entre nous avaient pris l’habitude, pendant cet intermède, de faire la grille, c’est-à-dire de franchir en l’escaladant la grille métallique de l’établissement qu’elle clôturait côté carrière, et où s’ouvrait la porte permettant la rentrée des externes. Nous, les escaladeurs, profitions de cette ouverture pour, mêlés à nos camarades, réintégrer la cour puis les classes. Tout jusqu’alors se passait sans anicroche… jusqu’à ce jour de printemps où, comme j’en avais pris l’habitude, je fais la grille et me trouve rejoindre des camarades externes de ma classe (ce devait être la 2èmeB) attendant dans la rue bordant la carrière l’ouverture de la porte. Dans le groupe de ces externes se trouvaient notamment trois de mes amis : Ali Stambouli, Abdelkader Safer et Mohamed Raïd (que nous appelions Romdéo) Je ne sais plus très bien comment les choses se sont enchaînées, mais à ce moment Ali Stambouli a sorti de sa poche une petite flûte rudimentaire en roseau, et s’est mis à en jouer, en tête de notre groupe. Puis nous voilà, accompagnés par la flûte, entonnant l’Internationale avec poings levés. Brusquement, d’une impasse perpendiculaire à la rue, surgit furieux Monsieur Philippe, qui était lieutenant des pompiers et demeurait au fond de l’impasse. Sa carrure impressionnait les gamins que nous étions encore. Il nous invectiva sévèrement, nous menaça avec véhémence. Mais cela n’alla pas au-delà, et nous entrâmes tout penauds dans la cour, pensant l’incident sans suites. Nous étions trop optimistes ! Le samedi suivant, dans le journal l’ Avenir de Mascara, une demie page relatait les faits avec des commentaires du genre : « L’E.P.S. de Mascara, bastion de la S.F.I.O. (C’était à l’époque le nom du Parti Socialiste) enseignants gauchistes endoctrinant leurs élèves. » Le résultat fut immédiat : lundi matin, le Directeur, Monsieur Bertin, nous informa que les quatre manifestants, Stambouli, Safer, Raïd et moi, étions exclus pour huit jours.

 Joie des parents ! C’était il y a près de soixante-dix ans.

 Les trois camarades et moi, compagnons d’aventure, étions  en classe de vrais amis. Stambouli et Safer occupaient les deux places du fond près du radiateur et Raïd et moi étions juste devant… les places des brillants élèves…

 En écrivant cette lettre, en flots, des noms et des visages de condisciples oubliés depuis lors, me reviennent avec attendrissement à l’esprit. Ai-je besoin d’ajouter que nous avions quatorze ou quinze ans, et qu’au lieu de l’Internationale, nous aurions aussi bien pu chanter le Chant du Départ, ou Le son du cor le soir au fond des bois que Monsieur Assié, professeur de musique, parmi d’autres matières, nous apprenait en classe avant la venue de Monsieur Roca, mais un autre chant n’aurait pas eu les mêmes conséquences, et je n’aurai pas vécu ces faits qui me sont restés gravés en mémoire. Je ne sais si cette histoire vous a amusés ou fait sourire ? Mais la relater m’a permis de faire un retour sur ma jeunesse, avec beaucoup d’émotion.

 

 

 Une autre petite anecdote afférente à la même époque :

En 1935 nous arrive de métropole un jeune professeur de français s’appelant Monsieur Jules Fossat. Il était célibataire, s’affirmait royaliste et portait toujours un béret incliné sur le côté.

Un jour, la classe apprend que Monsieur Fossat va épouser une demoiselle Suzanne Barthélémy. Et avant le prochain cours de Monsieur Fossat, notre camarade Laurent de Pérignac avait écrit à la craie sur le tableau noir :

« Buvez une SUZE ANNE au BAR THÉLÉMY. »

Monsieur Fossat apprécia fort ce jeu de mots quand il le lut.

26/02/02

Monsieur Lucien Partouche est décédé. Publié avec l'accord de sa famille